Candy City, du splendide au sordide (15 avril 2030)

Fleuron de la reconstruction de la baie de San Francisco après le Big One de 2024, Candy City, la « ville-intelligente » financée sinon construite par ceux qu’à l’époque on surnommait les GAFAM (Google-Amazon-Facebook-Apple-Microsoft) avait séduit le gotha du show-biz jusqu’au scandale « Jiggy Pee-Wee », à l’origine duquel les vidéos des orgies brutales du rappeur avec des prostituées, pour certaines mineures, avaient été partagées sur PornSwitch, le réseau social pornographique bien connu des aficionados. Après ces révélations, la plupart des résidents, craignant pour leur vie privée et leurs secrets, inavoués ou inavouables, avaient abandonné sans exception leurs logements, faisant chuter leurs prix de vente de 85 % en moyenne.

Rachetés en septembre 2028 par le groupe CaliforniMedia, dont le principal actionnaire était XenT, nom que s’étaient donné les GAFAM dans le cadre d’une joint venture opaque et tentaculaire, ces logements sont devenus des sortes de HLM hi-tech. La modération des loyers, inattendue dans cette région du globe, particulièrement concernant la première « smart city » de la planète, a été rendue possible par le système de captation des données. Mais, à la différence de la première version, qui imposait aux résidents, sur leur faux feu de cheminée ou la cavalcade des chevaux dans les vertes collines irlandaises projetés sur les murs et les fenêtres, la nouvelle diffusait, purement et simplement, la vie quotidienne des résidents sur un bouquet de chaînes dédiées à la télé-réalité, appartenant toutes, naturellement, à CaliforniMedia, rapportant bien vite des millions, puis des milliards de dollars.

Mais, il a vite été remarqué que les passages les plus intimes, réservés aux chaînes de HushTV, étaient ceux qui rapportaient le plus d’argent. XenT a donc décidé de proposer aux résidents de devenir, contre un loyer dérisoire, des acteurs pornographiques reconnus comme tels. Ceux qui refusaient ont vu leurs baux résiliés, les autres se sont résignés à ce que des inconnus de la Terre entière aient connaissance des détails les plus intimes de leur vie sexuelle, jusqu’à leurs petites déviances si prisées par le public. Les résidents les plus populaires, grâce aux votes du public, voient leurs loyers réduits jusqu’à n’être plus que symboliques. Les baux résiliés servent désormais aux tournages hardcore, avec lesquels sont mis en concurrence les résidents improvisés acteurs de porno amateur.

Carly (28 ans) et Trevor (34 ans) sont de ceux-là : « Au début, raconte Carly, ça nous convenait : nous pouvions investir la majeure partie de notre salaire de créatifs dans la pub dans tous les loisirs qui nous faisaient envie, et, en échange, des inconnus sur internet nous regardaient nous éclater au lit. Ça ne changeait pas beaucoup de si nous avions eu notre propre chaîne de porno amateur. Et puis, sans qu’on sache pourquoi, les votes se sont accumulés, et nous avons été le couple-star pendant pratiquement quatre semaines sans interruption. XenT a réduit notre loyer de quatre-cents cinquante dollars à dix dollars par moi, si nous refaisions encore et encore ce qui avait été le mieux noté sur HushTV. Alors, nous avons fait contre mauvaise fortune bon cœur, et nous nous y sommes mis. Nous restions parmi les mieux classés, mais les votes diminuaient : alors, XenT nous a demandé de faire un certain nombre de choses, dont avait envie le public. Mais, moi, ça ne me tentait pas, dans l’ensemble. Il y avait bien deux ou trois idées qui emballaient Trevor, mais pas moi. Nous avons tout de même décidé de le faire, pour maintenir notre niveau de vie. Toutefois, je ne le vis pas très bien : je me sens sale, honteuse. Un peu comme si j’avais été violée, je suppose, mais avec la culpabilité de savoir que j’étais volontaire. Notre couple, depuis, ne va plus tout-à-fait aussi bien. Le couple de lesbiennes, à côté, a subi une telle pression que Mercedès s’est suicidée en direct. C’a rapporté presque cent millions au moment de la diffusion. »

C’est ainsi qu’aujourd’hui, Candy City, d’avant-garde du confort, de la technologie et du glamour, est devenue en moins d’une décennie le rêve que n’osait caresser aucun des acteurs du Dark Web : devenir une plateforme rentable et légale de diffusion des pires déviances. Cette impression est confortée par une toute nouvelle tendance : les rapports sexuels ayant lieu dans la chambre des enfants, ou en leur présence plus ou moins fortuite, sont ceux dont la notation progresse le plus fortement depuis à présent presque un mois.

Ordure

Je suis pas fêlé, je suis pas bizarre, je ne suis même pas un marginal.

J’ai simplement décidé de fuir.

Je pense que ça a commencé lorsque cette pauvre cruche est tombée amoureuse de moi. Non que ce soit condamnable en soi – ce sont des choses qu’on ne choisit pas – mais elle m’a balancé les trois mots terribles, la formule d’exécration. Et au plus mauvais moment, en plus ! J’aurais dû m’en douter, de toutes façons. Depuis le début de la séance, ça n’allait pas, j’ai foiré plus d’une photo sur d’eux. Ça n’allait pas, quelque chose n’allait pas. C’était son regard. Elle devait avoir tour à tour l’expression d’une pauvre petite fille séquestrée dans la cave d’un pervers sexuel, ou les yeux qui crient braguette d’une salope patentée. Au lieu de ça, elle avait les yeux qui brillaient d’une tendresse suspecte. Ça veut dire qu’elle ne se contrôlait pas. Et ça, ça aurait dû m’alarmer.

Franchement, qu’est-ce qu’un « je t’aime » vient foutre dans une séance de photos de bondage, hein ? J’étais en train de la prendre en plongée, elle, ficelée comme un rôti, à genoux, prête à recevoir tous les sévices qu’imaginerait le public, quand elle m’a sorti ça, les yeux braqués sur l’objectif – comme si elle pensait mieux m’atteindre à travers les lentilles. M’armant de tout mon courage, j’ai fait celui qui n’a rien entendu, et j’ai enchaîné. La séance ne s’est pas trop mal finie, et, c’est une séance d’un autre genre qui s’est ensuite déroulée, le genre que j’attendais depuis le matin. On venait de finir quand, dégoulinante de sueur, de foutre et de sa propre mouille, elle s’est tournée vers moi et m’a embrassé avec un mélange de fougue et de tendresse, après avoir lâché, à nouveau, la formule honnie. La bouche pleine de sa langue, je n’ai évidemment pas pu répondre ou protester ou quoi que ce soit. D’ailleurs, j’aurais aimé la repousser, mais j’étais tétanisé. Bref, j’ai laissé faire, petit lapin pris dans les phares d’une bagnole. Dans ses yeux, il y avait cette flamme redoutable, cette passion dévorante que peuvent nourrir les femmes amoureuses en plein accès de flous hamiltoniens et de tachycardie.

On baisait, juste. Enfin, je la ficelais, la fouettais, l’humiliais, la prenais en photo, et la baisais. Croyez pas que je sois macho ou miso. C’était notre façon à nous de s’éclater. Elle a tout gâché avec sa déclaration. Aimer ! Mais elle sait au moins ce que c’est ? On faisait que baiser et prendre des photos, et, soudain, elle a décrété que j’avais une place dans sa vie, de l’importance ? Pourquoi ? Parce que je la giflais en la traitant de pute et qu’elle se sentait bien, c’est pour ça ? Je représentais une bouffée d’air frais, dans sa vie émotionnelle et sexuelle, rien d’autre. Je n’étais pour elle que la crème caramel qu’on demande au restau, un jour, alors qu’on prend d’habitude la tarte aux pommes : un petit moment de détente qui change de l’ordinaire. Et ça marchait plutôt bien, comme ça. Ç’avait commencé comme un jeu, un défi. Elle était devant moi, habillée de rien d’autre une serviette de bain, et je prenais photo sur photo. À un moment, elle m’avait demandé : « Et si je laisse tomber la serviette, tu fais quoi ? » et je n’avais rien répondu. La suite, vous vous en doutez.

Cette situation me plongeait dans le désarroi, la peur, mais, aussi, le dégoût. Comme si je découvrais que je venais de baiser une ado qui s’était plus ou moins volontairement fait passer pour plus âgée qu’elle était. Je me faisais l’impression d’un salaud qui abuse de la naïveté et de l’inexpérience des jeunes filles pour leur faire le cul sans se donner trop de peine. Sauf qu’au final, ce n’était pas moi, le fautif. Tout se passait bien, bordel. On se faisait du bien, sans engagement. Y avait de la légèreté, et ce qu’il faut de sécrétions, on était un petit bonus dans la vie de l’autre – bon, d’accord, un sacré bonus quand même. Mais, ça n’allait pas plus loin. Le soir, on se quittait, elle retrouvait son mari et ses deux enfants, et moi, mon petit antre douillet où je faisais tranquillement ma sélection de photos en me tapant une mousse. Et, il a fallu qu’elle foute tout en l’air. Une déclaration comme ça, c’est pas qu’un jugement, c’est pas qu’un état de fait plus ou moins subjectif proféré avec des mots basiques : c’est une attribution de responsabilité ! Et, moi, j’avais envie de tout, sauf qu’on me dise « à présent, mon bonheur passe par toi, tu en es responsable » ! Je veux être responsable de rien, chez les autres ! Pas plus chez elle que chez qui que ce soit ! Bref, voilà, en deux ou trois syllabes, tout s’est effondré, parce qu’elle a mis là-dedans un putain d’enjeu. Et cet enjeu, je devais le casser, et tout ce qu’il y avait autour, si je voulais m’en sortir.

Les jours qui ont suivi, j’ai joué la carpe, pas de son, pas d’images, j’ai décidé de ne pas répondre à deux ou trois de ses appels – j’avais autre chose à foutre – et de ne pas plus la rappeler – j’avais, là encore, mieux à foutre. Finalement, comme le message ne semblait pas clair, je me suis décidé à lui passer un coup de grelot, car je n’avais pas envie de me fendre d’une missive qu’elle aurait tout le temps d’interpréter comme bon lui chanterait. Je m’y suis pris comme un manche, et mes premières explications vaseuses lui ont arraché des larmes et des sanglots, si bien qu’il n’y a pas eu à proprement parler de conversation. Alors, on a convenu d’un rendez-vous, à la crêperie du centre-ville, pour que je lui explique tout. Je n’y suis pas allé de gaieté de cœur, faut pas croire. L’idée de cette discussion et de la tournure qu’elle allait prendre me faisait chier d’avance, en plus, elle entérinerait le fait que je ne verrais plus ses grosses fesses un peu molles et ses gros pis blancs saucissonnés de corde virevolter au dessus de mon plumard – ou du sien, car, oui, je l’ai aussi baisée dans le lit conjugal ! Enfin, bref, ç’avait tout pour plaire. Je ne sais même pas si j’y suis allé par correction, estimant que, quoi qu’il arrive, je lui devais une explication, et qu’un gentleman ne se retire pas sans essuyer un minimum ses saletés, ou bien si c’était juste pour être parfaitement certain que je serais tranquille après. Aujourd’hui, avec le recul, je pense que ce n’était que pure stratégie. Ce que j’espérais avant tout, c’était qu’elle comprenne que c’était mort avant de commencer, que ça n’avait jamais commencé, et qu’envisager que ça puisse un jour commencer était complètement absurde. J’y ai mis les formes : « c’est pas toi, c’est moi, je suis pas prêt, tu comprends, si tu es amoureuse, sa change tout, veux pas te faire souffrir ». Un œil non exercé aurait presque pu me prendre pour un gentleman… Et, là, elle qui n’était que hoquètements, ruissellement lacrymal sur fond de rimmel en débâcle, elle s’est effondrée. Je lui ai commandé une dame blanche, et elle m’a expliqué, le corps traversé de soubresauts, que j’étais tellement chouette, comme mec, de chercher à la protéger, de penser à elle avant moi, que c’en était encore plus cruel de me voir partir. J’ai été soulagé. Son visage, rouge, boursouflé et ruisselant m’évoquait une tartelette aux framboises dont la gelée tremblote sur un plateau de self. Elle avait cessé de chouiner, c’était déjà ça. J’ai horreur quand elles chouinent, on a l’impression qu’elles quémandent. Elle intégrait l’idée que c’était fini. À présent, elle grapillait du temps. Ou alors, elle me prenait pour son psy. Elle m’a demandé si ça ne me dérangeait pas qu’on ne se contacte plus. Craignant une question piège, je n’ai rien répondu, j’ai juste bafouillé un certain malaise. Elle a traduit : elle allait m’effacer de ses contacts. J’ai dit d’accord. Elle est partie avant d’être rattrapée par une nouvelle crise de larmes, me laissant seul à table. J’ai commandé un autre dessert, avec le café, l’addition. J’avais eu l’impression de réchapper à un boulet de canon qui m’avait frôlé.

Je crois que c’est peu après que j’ai pris cette décision de fuir.

Une petite dose de sympathie pour le Diable

On dit qu’on s’habitue à beaucoup de choses, même les pires.

J’ai envie de dire que c’est vrai et faux en même temps. Disons qu’on ne s’habitue pas : on trouve des stratégies pour vivre avec, et on va de l’avant, comme ça. Un peu comme lorsqu’on a bricolé ses toilettes, qu’on se retrouve les mains pleines de merdes : l’important, c’est de terminer, alors, on n’y pense plus. On finit de bricoler le siphon, on s’assure que tout va bien. Et, ensuite, seulement ensuite, quand c’est fini, on s’autorise à aller au lavabo, pour laver à grande eau cette puanteur immonde, qui semble rester des heures et des jours entiers, comme incrustée dans la peau. On fait au mieux pour vivre avec, oublier, ne pas y penser.

Please allow me to introduce myself

I am a man of wealth and taste

Alors, forcément, on se retrouve avec une chanson qui tourne en boucle dans la tête, un mantra qui nous rassure. Une prière. Parfois, celle-ci recèle des vrais morceaux d’ironie, comme les morceaux de fruits dans ces yaourts brassés. Mais, oui, comme ceux qu’on voit à la télé.

I’ve been around for a long, long year

Stole many a man’s soul to waste

Ahmedi Hamchari, 41 ans, né à Baghdad. Président d’une boîte d’import/export. Il a financé toute l’opération à La Défense. Ce n’est pas le cerveau, seulement le trésorier. Mais il est au moins aussi important. Enfin, il était. Il est mort à Londres, poignardé sur le parking de sa société pour une poignée de billets. Deux cents livres, à peine.

Youssef Bouleghlem, 28 ans. Né à Drancy. Sans emploi connu. Probablement trafics divers, mais, le dossier ne le disait pas. Logisticien, il a acheminé depuis la frontière et planqué les armes et les explosifs. Réfugié à Bruxelles sous une identité usurpée depuis l’attentat, il est mort trois semaines après Hamchari. L’enquête a conclu à un robinet de gaz laissé ouvert.

Fayçal Drari, 53 ans. Né à Amman, citoyen jordanien. Chimiste, spécialiste dans les carburants. C’est lui qui a préparé les explosifs. Des promeneurs ont découvert son corps sans tête dans un fossé de la banlieue d’Amman. Il ne semble pas que les enquêteurs aient beaucoup creusé.

Slimane Benchétrit, 33 ans. Né à Beyrouth, naturalisé grec en 1992. Ingénieur. Son rôle ne m’a pas été communiqué – je suppose qu’il a fabriqué les détonateurs. C’est à lui que j’ai envoyé la tête de Drari, avec une photo de sa propre ganache, pour lui faire comprendre qu’il était le suivant. Des balles de .22 Long Rifle subsoniques, avec un réducteur de son. Personne n’a rien entendu. Une dans la tête, et deux dans le thorax. Il vivait si isolé dans sa coquette villa à l’écart de tout sur Lesbos qu’on a mis deux bonnes semaines à s’inquiéter de son sort.

And I was ’round when Jesus Christ

Had his moment of doubt and pain

L’important, je l’ai vite compris, n’était pas d’éliminer ces cibles. Il s’agissait simplement de faire sortir de son trou le cerveau de l’opération, Abou Nassereddine, quel que soit son vrai nom. J’ai lu qu’apparemment, il est mort dans un accrochage très violent avec la Guardia Civil dans le Sud de l’Espagne. Ça sent le traquenard.

Made damn sure that Pilate

Washed his hands and sealed his fate

Difficile, néanmoins, de croire que nous avons agi seuls. Le MI6 a dû mettre son pif dedans. De toutes façons, ça ne me regarde pas. Ou plus. Si jamais ç’a été un jour mes oignons. Tout ce que je veux, c’est passer du bon temps, m’éclater un minimum. Me laver les mains, aussi. La dernière fois, c’était jusqu’au sang. Quatre personnes, la femme d’un trafiquant d’armes, l’associé de celui-ci ainsi que leurs gardes du corps. Fallait faire peur. Alors, j’ai fait peur. Dans le plus pur style crade, bien vomitif. Et je me suis senti souillé pendant des semaines. Ça s’est arrêté quand j’ai recommencé à dormir. Je me fais vieux, peut-être. Pourtant, la question morale, je ne me la pose tout simplement pas. Je me dis que je suis un patriote, que je fais ça pour mon pays. Ça me rassure, même si je sais que c’est une fiction comme une autre, comme ma propre vie.

Je suis une légende, rien d’autre.

Un conte à dormir debout, pour les enfants pas sages, qui font péter des bombes sur l’esplanade de La Défense, ou qui vendent des fusils qui tuent nos gars. Un mythe ténébreux qui enfle grâce à la rumeur. Déjà, on me prête des éliminations qui ne sont pas de mon fait. Leur inconscient collectif éventuel semble s’être emparé de moi pour faire de moi leur croquemitaine. À la bonne heure. S’ils croisent mon chemin et devinent qui je suis…

Pleased to meet you

Hope you get my name

But what puzzles you

Is the nature of my game

Je suis sans doute une sorte d’ange de la Mort. Mais, un ange de la Mort républicain, alors. Mais, avec les missions, avec le temps, patriotisme et républicanisme deviennent des formules magiques. Il y a plusieurs comptes numérotés dont je suis le titulaire, disséminés un peu partout dans le monde. Comme toujours, l’argent arrivera, en versements modestes à chaque fois. Rien de suspect. Rien qui vaille la peine d’être signalé. Une petite partie, pas plus d’un dixième, me sera remise en liquide. Une enveloppe que je retrouverai dans ma poche, dans ma sacoche. Ou bien, une clé pour une consigne, à l’aéroport. Ce sera peut-être dans un journal plié que me tendra un inconnu dans un bar ou sur un banc public.

Qu’importe !

J’irai flamber un peu au casino, boire du champagne, tenir par la taille quelques jolies jeunes femmes qui boiront de leurs grands yeux émerveillées le suc de ma légende. Peut-être l’une d’entre elles, impressionnée, me fera le plaisir d’honorer ma couche. On baisera comme des fous, ou comme des ados amoureux, histoire d’y croire. Ça, c’est si elle est vraiment malheureuse. Et moi ? Il y a bien longtemps que « moi », ce n’est plus un sujet. J’ai appris tant de réponses diverses et variées à son sujet, qu’il est devenu moi, ou je suis devenu lui. De quoi devenir fou, non ? Je risque ma vie, ma santé, ma liberté, pour un pays où je ne vis même pas. Malgré le fric, les avantages, le Moët et les jolies brunes aux jambes interminables, j’ai parfois la trouille. Mais, toujours, je me fais horreur. Un ancien de la maison disait que c’était un métier de seigneur, mais avec des méthodes de voyou. C’est sans doute ça, le cœur du truc.

Please allow me to introduce myself

I’m a man of wealth and taste

Il doit falloir une petite dose de sympathie pour le Diable.

Pourquoi Daesh a gagné le 13/11/2015

Au-delà de la douleur, de l’indignation, de toute l’émotion suscitées par le meurtre de masse perpétré vendredi 13 novembre 2015, il me paraît important de se poser les bonnes questions. En effet, se multiplient des messages dont le sens global est « Le peuple de France n’a pas peur, continue à picoler, à baiser, à écouter du metal et à loufer selon son bon vouloir: Daesh, tu n’as pas gagné! » C’est bon pour le moral, et ça ne mange pas de pain. Cela a néanmoins le défaut de masquer les vrais enjeux.

Il faut rappeler que le terrorisme est avant tout un choix stratégique et politique. Il ne s’agit pas de se muer en croquemitaine et de semer la terreur pour le plaisir. Chaque manœuvre, chaque attentat est au service d’une stratégie, vise un objectif. Celui-ci peut, d’une manière générale, se résumer à « infléchir la politique du pays-cible ». Dans quel sens, c’est au cas par cas, ce n’est pas toujours clair. Mais, lorsque c’est une force étrangère qui vient semer la mort sur notre sol, ce sont nos liens politiques avec cette force étrangère qui sont au cœur de ce bras de fer.
Cette grille de  lecture semble confirmée par des témoignages de rescapés du Bataclan, rapportant que l’un des terroristes affirmait que tout cela était la faute du Président Hollande, et de son intervention en Syrie. Évidemment, il ne s’agissait pas, personne n’est dupe, de provoquer un retrait des forces françaises de la région, et de faire cesser les raids aériens et les exécutions discrètes. L’objectif, plus modeste, était tout simplement de montrer comment un commando de barbus peut à lui seul influencer la politique de notre gouvernement par une action imparable une fois qu’elle a démarré. S’apparentant plus à un simple assassinat politique (comme d’autres pays peuvent faire liquider, en Irak ou en Syrie entre autres, des figures gênantes – enfin, je me comprends), l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015 pouvait aussi se lire comme un message, un avertissement: « Ca y est, nous avons percé votre cuirasse, vous et nous savons que nous pouvons porter la mort au coeur de votre capitale ». C’était un galop d’essai.
Vendredi 13, c’est un post-it rouge sang que nous ont adressé les terroristes: « A présent, vous allez nous écouter. » Pourquoi les écouterait-on? Parce qu’ils sont capable de lancer des attaques coordonnées de kamikazes au sein de la capitale, loupant de peu, faut-il croire, le plus haut magistrat de la République. Qu’avons-nous vu ensuite? La proclamation de l’état d’urgence, l’ancien Président dela République Nicolas Sarkozy s’approprier – d’une manière assez indigne – l’affaire pour sa propre campagne officieuse, le retour au premier plan de la question des réfugiés, et une prééminence de thèmes chers à l’extrême-droite, qui est suceptible d’en sortir renforcée. Comment résumer la chose? Tout simplement: les terroristes ont pu s’inviter dans la politique française. D’une part, en démontrant que les efforts consentis en matière de sécurité sont insuffisants, voire ma placés, et, d’autre part, en montrant que la politique française en Syrie peut avoir un impact considérable sur le quotidien de quelques-uns qui n’avaient pas le moindre rapport avec ce pays.
Qu’en retenir? Entre Charlie et le Bataclan, il y a eu une montée en puissance: de l’assassinat ciblé – certes accompagné d’une prise d’otages, les terroristes sont passés aux attentats kamikazes multiples. De trois tueurs, ils sont passés à huit. Montée en efficacité aussi: de douze morts, nous sommes passés à plus de cent-vingt. Un bilan dix fois plus lourd. Changement d’ampleur, de nature. A présent, Daesh sait qu’il a la capacité de commettre des attentats d’une ampleur comparable à ceux qui ont ensanglanté Bombay en 2008. Sinon sur place, à proximité immédiate (Belgique?), il dispose d’un artificier capable de fabriquer des ceintures explosives discrètes et efficaces, avec un explosif artisanal complexe à mettre en place. Ils se savent aussi en mesure d’infiltrer des éléments étrangers sur le territoire et les mettre à pied d’œuvre. Ils savent que le gouvernement n’est pas rassuré, et n’a pas pour le moment de piste crédible pour contrer cette menace. Ils ont un coup d’avance.

Voilà pourquoi, Vendredi 13 novembre 2015, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, c’est Daesh qui a remporté la manche.

Gott ist todt (2010)

Pierre: Tu sais pourquoi on t’a convoqué?

Lucifer: Non, mais quelque chose me dit que vous allez me faire une annonce fracassante.

Gabriel: Pour le moins! C’est pour ça que je suis là!

Lucifer: Bon, allez, balancez, j’ai pas que ça à faire. Et puis chez vous, c’est triste, c’est tout blanc et on se les gèle, c’est déprimant.

Pierre: Et chez toi, c’est bordélique, on y étouffe, voilà, t’es content?

Lucifer: Très. Pouvez pas éteindre la lumière? C’est aveuglant…

Gabriel: Tu vas nous les casser longtemps? Pierre, je me demande si on a bien fait de le faire venir…

Pierre: Tu voulais quoi? Qu’on lui envoie un fax?

Gabriel: Je sais pas, on aurait pu envoyer un messager…

Pierre: Ça n’a jamais marché. Ils ne sont jamais revenus.

Lucifer: Pourtant, à chaque fois, j’ai eu l’info. Qu’ils ne soient pas revenus, ça ne vous questionne nullement?

Pierre: On devrait se poser des questions?

Lucifer: Je sais pas. Moi, à votre place, je me poserais des questions…

Pierre: Ouais, bon, on verra ça une autre fois. T’es prêt pour le scoop?

Lucifer: J’étais prêt dès la création, mes agneaux.

Pierre: Bon, Gaby, tu veux le faire?

Gabriel: Ouais, je m’en occupe. Bon, tu as dû remarquer depuis un certain temps qu’on a pas mal perdu d’influence…

Lucifer: Ah ça, c’est inratable! Qu’est-ce qui vous arrive, d’ailleurs?

Gabriel: J’y viens. Tu sais qu’avec une organisation comme la nôtre, une action d’ampleur, et occuper le terrain, ça ne se fait pas sans chef…

Lucifer: Bien sûr.

Gabriel: C’est là que ça devient gênant: cette perte d’influence, tout ça, ça a une origine. Y a plus de patron!

Lucifer: Si vous m’avez convoqué pour vous foutre de moi, ce n’est pas sympa.

Pierre: Non, non, je t’assure! Plus la moindre nouvelle!

Lucifer: Alors là, ça me la coupe! Vous avez lancé des recherches?

Pierre: Tu penses bien que oui! On fouillé partout, sans rien trouver. Et puis quand on s’est décidé à aller voir dans la salle du trône, pour trouver des indices…

Lucifer: Et…?

Pierre: Et il n’y avait sur le bureau ovale qu’un havane à peine fumâillé, et une crème brûlée dont il avait laissé une bonne moitié. Il était donc parti précipitamment. Je suis allé voir sur son fauteuil, et il s’est sûrement désintégré là: j’y ai retrouvé un ressort rouillé, un peu de paille et un chewing-gum à la goyave.

Lucifer: MOUAHAHAHAHAH! Le patron, le Grand Patron s’est désintégré?

Gabriel: C’est, hélas, la stricte vérité. Enfin, une certaine formulation de la Vérité.

Lucifer: Et sinon, ça peut se dire comment? Il a mis les bouts?

Gabriel: On pourrait choisir un vocabulaire moins relâché, mais en gros, c’est ça.

Lucifer: Ho putain de merde. Ca remonte à quand?

Pierre: On sait pas, au juste. Le service d’ordre ne nous a pas été d’une grande utilité…

Lucifer: Je sais, ils émargent chez moi, la mutuelle est plus intéressante. Bon, et alors? Qu’en dit Jésus?

Pierre: C’est que…

Gabriel: …tu vois, quand on s’est aperçus de ça, ça faisait un bout qu’on l’avait pas vu, le fils, et depuis, pas de nouvelles non plus. Son chapeau de paille et son râteau sont bien rangés dans son vestiaire…

Lucifer: C’est bon, ça! Vous êtes complètement décapités, alors!

Pierre: Ne te réjouis pas trop vite, nous avons encore des partisans!!!

Lucifer: Oui, oui, bien entendu, je le sais. mais pour le principe, c’est quand même bon. J’ai le droit de me réjouir, non?

Pierre: Ben, en principe, non. De toutes manières, tu ne pourras pas ébruiter la chose, tout le monde croira à une nouvelle manipulation que tu auras sortie de ton sac à malices…

Lucifer: C’est vrai que depuis que je suis dans l’opposition, vous n’avez pas vraiment fait grand chose pour soigner ma crédibilité!

Pierre: La faute à qui? Tu pouvais nous rejoindre, mais tu as préféré nous chier dans les bottes!

Lucifer: Ca ne me convenait pas, le Parti Unique, désolé… Le patron bienveillant, on repassera.

Gabriel: Je t’interdis de parler de lui ainsi!

Lucifer: Ta gueule. Juste ta gueule. Tu ne sais même pas ce qu’est le libre arbitre. Tu n’as plus de chef, et tu trembles de tous tes membres. Bon, les loulous, c’est pas que je m’emmerde, mais je vais vous laisser à vos obligations, hein, faut assurer l’intérim’! Vous ferez de ma part une grosse bise à Staline et Tonton Adolf, ok? Merci d’avance!

Il (2010)

-Tiens, tu fumes des américaines, maintenant?

-Oui, enfin, depuis le début, pourquoi?

-J’avais jamais fait gaffe.

-Ha bon. Alors, ça va bien?

-Ouais, pas mal. Pas mal du tout.

-Tu te sens bien, où tu es?

-Ouais, on se fait un peu chier, mais y a des tas de bouquins.

-Tu rigoles?

-Non, je t’assure. J’ai même retrouvé celui sur les motos de la seconde guerre mondiale!

-C’est cool, ça! Bon, du coup, tu passes le temps comme tu peux, quoi?

-Oui, c’est pas la misère, loin de là!

-Tu passes souvent?

-Non, pas souvent, y a plein de trucs à faire. Et puis, tu vas peut-être pas me croire, mais j’ai retrouvé Yvon!

-Le gars qui était contremaître, c’est ça?

-C’est ça.

-Tu l’as vu quand?

-Bah il doit y avoir un mois. On se voit de temps en temps, on se prend un jus ou une mousse.

-Tu t’es calmé, sur la picole?

-Oui, enfin, là, ce n’est plus du tout pareil qu’avant.

-Je m’en doute. Enfin, en tout cas, j’espère. Pour toi, en tout cas. Bon, moi, maintenant, c’est affaire classée…

-Affaire classée?

-Bah oui, c’est du passé. Ah, je te l’accorde, c’était pas marrant, je me suis pas amusé tous les jours, hein. Mais ce qui est fait est fait. On peut y changer quelque chose?

-Non, bien sûr. J’aurais aimé que ça se passe autrement.

-C’est un peu ta faute aussi, avoue-le.

-C’est vrai. Je m’en suis pas rendu compte.

-Même nous, avec maman, on s’en est pas rendu compte tout de suite. Y a pas grand monde qui aurait pu faire quelque chose, à mon avis.

-Je suis sur que j’aurais pu éviter ça. Ou bien vous épargner tout ça, à ta mère et à toi. Je t’ai même pas vu grandir.

-Du coup, tu as tout autant été un étranger pour moi.

-C’est dur à entendre, tu sais?

-Oui, je sais. Mais c’est vrai, malheureusement. Tu étais pas prêt. Tu t’es retrouvé avec une vie qui était pas faite pour toi, voilà tout. Et puis tu as pris sur toi. T’as préféré tout nier.

-Tu as peut-être raison, au fond. J’en étais même pas conscient, en tout cas.

-Sûrement. A la fin, pourtant, tu nous évitais. Tu craignais qu’on te juge? Tu avais honte?

-Ouais, j’avais honte. J’étais difforme, j’avais un bide comme ça. Je tenais plus debout. j’étais pas clair plus d’une ou deux heures par jour.

-Pourtant, tu acceptais de voir ton frangin, enfin, sauf les derniers jours.

-Mais avec lui, c’est différent. On a fait tellement de conneries, ensemble…

-Ouais, je vois. Tu savais qu’il te jugerait pas, en fait.

-Un truc comme ça.

-Lui aussi, il en a chié.

-Je sais, on a même failli se foutre sur la gueule!

-Ho le travail, c’est n’importe quoi! C’est parti sur quoi?

-Une connerie, sans doute. Je me rappelle plus, mais bon, c’était la connerie de trop.

-Et après, tu ne lui as même plus répondu.

-Ouais. Et vu qu’on est aussi tête de lard lui que moi, tu imagines bien qu’on s’est bien fait la gueule.

-Après, tout est allé très vite. une quinzaine de jours, a priori.

-Ouais, ça doit être ça.

-Tu en as chié, j’imagine…

-Écoute, maintenant, c’est fini, hein…

-Ouais, je vois.

-Ils m’ont retrouvé combien de temps après?

-Trois jours. Les voisins ont appelé les pompiers, à cause de l’odeur. Bon, en tout cas, ça n’a pas l’air de te faire du mal, comme ça.

-C’est vrai. C’est pas ton train, qui est annoncé?

-Ah, tiens, si. Bon, je finis mon café en vitesse, et puis je vais y aller. Tu m’accompagnes sur le quai?

-Non, je vais y aller, moi aussi.

-On se revoit quand?

-Je sais pas encore. Mais je saurai bien te trouver, va. T’en fais pas.

-Bon, ben alors, on se dit à la prochaine?

-A la prochaine, oui.

-Merci d’être venu. Ca m’a fait plaisir.

-De rien, fils.

Pour en finir avec l’hypocrisie autour de la notion de démocratie

ENA

Sans aller jusqu’à préjuger du bien fondé de la démocratie ou tenter d’en établir une valeur comparative par rapport à d’autres systèmes politiques, j’aimerais faire une petite mise au point sur la démocratie à la Française… qui n’est PAS une démocratie, justement.

Une fois ceci posé, il va falloir se rendre compte de tout un tas de mensonges que l’on véhicule, d’ordinaire le cœur battant au son des musiques célestes républicaines sans forcément se rendre compte des conneries que l’on profère.

Car, NON, la France de la Vème République n’est pas une démocratie.

La constitution de 1958 annonce : « Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. » La bonne blague. Quel rapport peut-on voir entre nos dirigeants, qui se vouent depuis leur majorité à l’exercice du pouvoir (qu’il soit politique, économique ou autre) par leurs études à l’ENA, HEC, Sciences Po’ ou Normale Sup’ pour ne citer qu’elles, et le peuple, celui qui va souder les pièces de votre bagnole à Boulogne-Billancourt (OK, cet exemple date un peu) ou chercher votre bifteck à Rungis à 3 heures du matin ? Avec vous, qui faites de votre mieux dans votre job, entre injonctions contradictoires et objectifs chimériques ? Oh, certes, il y a de temps en temps un avocat qui émerge, un homme dont le métier est de rallier à sa cause même les plus rétifs par la force de son verbe, fût-ce pour faire acquitter la pire des ordures. Dès lors, qu’ont-ils, ces dirigeants, de commun avec le peuple ? Que vaut le choix qui nous est proposé à chaque scrutin, entre un énarque incompétent de gauche, et un énarque incompétent de droite – dont, aujourd’hui, l’opposition n’est plus politique, mais plutôt posturale ? Tous formés aux mêmes écoles, tous issus des mêmes milieux, ils arrivent aux postes de pouvoir selon les mêmes cheminements codifiés, obligatoires.

COMBIEN de citoyens humbles auront un jour une chance d’exercer un poste à responsabilité dans l’exécutif, et d’y apporter un souffle un peu nouveau, celui de la « France qui se lève tôt » ? Pierre Bérégovoy, à la triste destinée, fait figure d’exception. Les chiffres de la participation ne mentent pas : un candidat qui remporte 51% des suffrages exprimés quand la participation est de 50% ne peut se prévaloir que d’une représentativité de 25,5%, et encore, pas de tout la population de France, ni même des Français, mais des seuls Français ayant droit de vote ! À qui veut-on faire croire, dans ces conditions, que ces candidats, préalablement désignés autant par la tradition que par leur parti, déjà lourdement ancrés dans la vie politique, ses arcanes, ses compromis (et compromissions), sont là par la volonté du peuple, et pour le peuple ? Ils ne sont qu’une élite autoproclamée, une aristocratie endogame et consanguine. Ils s’évertuent à nous resservir les mêmes recettes qui ont prouvé depuis des lustres leur inefficacité, mais se font élire et réélire, car ils sont soutenus par de gros partis, des machines de combat électorales. Face à eux, les alternatives n’ont aucune chance.

OK, évacuons un instant cette question. Le système de fonctionnement de la Vème a été pensé par et pour un homme et un seul : De Gaulle. Et ce, dans des circonstances particulières : la France entrait dans le vingtième siècle. Ou la Guerre Froide. Sans doute quelque chose entre les deux. Quelles en sont les particularités ? En l’absence de proportionnelle, le parti majoritaire rafle la moitié des sièges, ce qui transforme une majorité relative en majorité absolue, et a le mérite de verrouiller les débats, puisqu’on présume que, hors guerre balkanique, celle-ci votera comme un seul homme. Conformément à quoi ? Conformément à l’étiquette de l’exécutif, qui, sauf cohabitation (un non-sens politique dont on peut se demander si De Gaulle pensait ça possible), sera la même que la Chambre. Ainsi, l’exécutif pond des projets de loi qu’en toute logique les parlementaires devraient voter sans trop de discussion : le débat est confisqué. L’assemblée n’est qu’une chambre d’enregistrement vouée à mettre une petite couche de légitimité démocratique autour de ce qui s’appelait à l’époque une ordonnance.

Par ailleurs, beaucoup de textes découlent des directives de Bruxelles, prises dans des instances obscures aux modes de désignation opaques et tout sauf démocratiques. Ainsi, les textes adoptés se devant d’être conformes à ces directives, on peut dire que pèsent sur le processus d’élaboration des lois des impératifs qui ne sont pas les nôtres, des contraintes auxquelles nous échappons, mais qui nous sont, indirectement, infligées. On parle ici de souveraineté, autant nationale que populaire. Celle-ci a déjà été mise à mal, lorsque le Parlement a désavoué le peuple français en votant contre son avis exprimé en referendum. Quelle meilleure démonstration du fossé qui existe entre le peuple et « ses » politiques ? Quelle meilleure démonstration, surtout, de la valeur qu’accordent nos politiques à nos (nous signifiant ici, le peuple) opinions ? « Ils se sont exprimés, mais, c’est dommage, ils ont pris l’option qui ne nous convenait pas. Vite, court-circuitons les pour rectifier tout cela ! » La démocratie, donc, c’est bien… tant que e peuple vote dans le sens de ses dirigeants ! J’ai bon ?

Alors, ceci posé, voilà où je veux en venir.

Voter n’est pas une obligation légale. Ce n’est pas non plus un devoir moral. « Oui, mais, tu te rends pas compte, y en a qui en ont chia, pour qu’on ait le droit de vote ! » Mouais. Je ne vois pas en quoi le fait que des royalistes ont été emprisonnés, torturés, exécutés fait que je les honore en allant voter. Le mode de comptabilisation des voies est biaisé : les blancs sont exclus du décompte (comme un athée est perçu comme incomplet aux USA). La conséquence à en tirer, c’est que toutes les opinions ne se valent pas pour nos chers politicards. Si les votes étaient comptabilisés, on se rendrait un peu trop facilement compte de leur représentativité réelle, et c’est toute une CSP qui risquerait de se retrouver sur la touche. Mais… quelle horreur ! Les enfants de Monsieur le député, de Madame la maire devraient aller… dans le public ? Impensable ! Alors, surtout, pas de vote blanc. Dès lors, si je sais que je vais voter blanc, et que tout le monde s’en fout… pourquoi se déplacer aux (b)urnes ? Du début jusqu’à la fin, les dés sont pipés. Voter, c’est bien, si on y trouve son compte. C’est respectable, républicain. D’aucuns diront risible, je n’aurai pas cette outrecuidance. Mais, c’est aussi cautionner ce système, ces institutions. C’est participer à la vente à la chandelle du pays, du peuple, à une caste qui se sent sans doute moins concerné par le solde de nos comptes bancaires que par le cumul de ses propres indemnités.

Dès lors, ne pas voter est aussi respectable que voter, si ce n’est pas de la simple paresse. Ce n’est pas parce que Danton et Robespierre ont fait décapiter à tour de bras que l’on est obligé de cautionner un système politique inapproprié (depuis 1969) et/ou une classe politique sclérosée dont il n’y a rien à attendre. C’est cautionner un système informel qui n’a d’autre souci que d’assurer sa propre conservation. Quand j’entends un discours comme « Tu n’as pas voté, alors, ferme ta gueule », j’ai envie de rétorquer « Toi, tu as voté, c’est toi qui les as portés au pouvoir, alors, toi, tu assumes, et tu fermes ta gueule ».

C’est si difficile que ça de comprendre que, parfois, quand on doit choisir entre la peste et le choléra, ne pas prendre parti et la seule chose envisageable intellectuellement ?

Il faut tuer Yeshoua Ben Yossef (2014)

Pilate contemplait la foule à ses pieds. Ces visages grimaçants, ces poings serrés, ces bouches ouvertes comme essayant de festoyer de ses mollets, réclamaient la libération de Bâr Abbas. Il se félicitait de la dépense qu’il avait consentie. Les Grands Prêtres avaient agi selon son souhait, et désiraient ardemment la mort du rebelle nazaréen. Bâr Abbas, bien que méritant mille fois le supplice pour s’être opposé à Rome, n’était pas, en soi, une menace. Sa petite bande n’était faite que de gueux avides d’influence, si médiocre fût-elle. Mais Pilate avait besoin d’eux, pour maintenir une agitation bénigne, mais suffisante pour justifier ses demandes à Rome de moyens supplémentaires pour étendre son influence sur la région.

La nazaréen, lui, était bien plus dangereux. Son idéologie, son charisme, en faisaient un chef apte à se poser en alternative crédible à la domination romaine, et c’était inacceptable. Néanmoins, sur la forme, il ne tombait pas sous le coup de la loi romaine, il lui était donc impossible de le condamner sans jouer la carte du despote jaloux de son pouvoir. Pilate avait donc demandé – moyennant espèces sonnantes et trébuchantes – aux Grands Prêtres de monter une accusation sans faille selon les critères des Juifs, afin qu’il apparût aux yeux de la foule comme la bête à abattre. Et, le tour de passe-passe avait fonctionné à merveille : Yéshoua Ben Yossef, qui aurait pu être le libérateur de la Palestine, était devenu la bête immonde, celui dont tous voulait la mort. Il ne resterait plus à Pilate, une fois toute cette histoire réglée, d’imaginer une belle histoire pour prolonger la soumission des populations locales, en les invitant à se réjouir de leur statut d’esclaves. À ses pieds, l’agitation croissait.

Il se leva alors, et déroula son chapitre moralisateur et culpabilisateur : solennellement, il fit le geste de se laver les mains, en rappelant que ces mains demeureraient propres du sang du Nazaréen – dont il rappela l’innocence – puis se rassit. L’effet produit fut celui escompté : rien. Néant. Autant tenter de raisonner une meute de chiens enragés. Mais, il avait fait le nécessaire, il avait défendu sa position officielle. Dès lors, il n’avait plus qu’à faire crucifier Yéshoua Ben Yossef et faire circuler, grâce aux hommes qu’il avait recrutés dans l’entourage du fâcheux, une jolie légende racontant que ce qui s’était produit était préférable à toute option, et que, après tout, on n’était pas si mal en ce monde.

Sur le Golgotha, tout le monde gardait son quant-à-soi. Le moment était solennel. On avait quand même une exécution publique, celle d’un garçon apprécié, charismatique et talentueux. Sa mère et sa maîtresse le pleuraient déjà, alors qu’il n’était pas encore mort. « Très noble Pilate, lui glissa un centurion, sais-tu où est le père du supplicié ? » Pilate haussa les épaules avant de rétorquer : « C’est un cornard qui nous a appuyés, sa place n’est pas ici. Il a déjà la satisfaction d’être débarrassé de son bâtard… » Le centurion haussa les épaules à son tour, et reprit sa posture digne, entre solennité et ennui. Il espérait qu’il y aurait un peu meilleur que le vulgus au dîner, car il commençait à fatiguer, et avait envie de faire un bon repas. Pilate, lui, observait la foule autour des suppliciés – oui, il avait fait un lot, c’était plus commode, et évitait de donner au Nazaréen trop d’importance. Comment sa maîtresse s’appelait-elle, déjà ? Ah, comme c’était dommage, la mémoire ne lui revenait pas. C’était un bien joli bout de femme, aux cuisses accueillantes, et, disait-on, aussi favorables aux Palestiniens qu’aux Romains. Quelques proches du rebelle pleuraient à chaudes larmes, soutenant Mâryam, sa mère, et ses frères et sœurs. C’était l’abattement, le plus tragique, le plus profond. Les Juifs qui le suivaient ne se risqueraient pas à se dresser contre Rome.

Pilate attendit encore un moment, puis s’en alla sans même un regard pour le supplicié qui l’insultait dans sa langue, implorant ses disciples de le venger. Il n’avait sans doute pas compris qu’ils étaient vendus à Rome, et l’avaient vendu, plus sûrement que leur complice aux trente deniers. Une fois revenu dans ses appartements, il convoqua le chef de la garde, Demetrius Gala, et lui donna l’ordre suivant :

« Lorsque le Nazaréen sera mort, tu confieras son corps aux Juifs, assure-toi de repérer son tombeau.

– Bien. Que dois-je faire ensuite ?

– Deux nuits après l’inhumation, récupère le cadavre, et fais-le disparaître. Brûle-le, équarris-le et jette-le aux chiens, s’il le faut. Je m’en moque. Mais, qu’il disparaisse !

– Mais… les Juifs ne me laisseront jamais accéder au tombeau !

– Prends avec toi des légionnaires qui parlent leur langue, et faites-vous passer pour des proches du défunt, ou, que sais-je ? Au besoin, exécute les gêneurs ! Je m’occuperai de ton alibi.

– Je pars sur le champ, très noble Pilate. »

Le soleil était déjà haut dans le ciel, lorsque, sur le Golgotha, un murmure parcourut l’assistance : « Yéshoua est mort. » La puanteur était étouffante – bien souvent, les suppliciés, ivres de douleur et de fatigue, relâchaient leurs sphincters, et urine et fèces se décomposaient sous un soleil de plomb. Le centurion de faction pressa l’un de ses légionnaires de vérifier si le Nazaréen était bien mort – il savait que non, car il voyait encore ses lèvres et ses paupières bouger. Le légionnaire, froidement, prit donc sa lance, et en enfonça le fer dans le flanc du supplicié, lui arrachant un gémissement, ainsi qu’une fontaine de sang. Quelques secondes plus tard, son corps s’affaissa, et le sang ne fit plus que ruisseler de la plaie. C’était fini, il était bel et bien mort. Le centurion connaissait les ordres.

Une sinistre mascarade allait alors avoir lieu. Les Juifs contenant leur peine pour les uns, l’exprimant avec force pour d’autres, se regroupaient autour du corps pour l’enrouler dans son linceul, après que sa mère et ses frères l’eussent une dernière fois embrassé. Leurs visages poussiéreux étaient tous zébrés de sillons des larmes qui ne cessaient de rouler sur leurs joues. Ils avaient de la peine, c’était évident. Une tristesse abyssale, insondable. Demetrius Gala était venu habillé en Hébreu, entouré des douze traîtres. Ils s’étaient joints à la foule, pour accompagner le corps jusqu’au tombeau. Tout semblait bien se dérouler lorsque la maîtresse du Nazaréen, ivre de douleur, se jeta sur le cadavre, tremblante et en larmes. Éviter, l’incident, à tout prix. Gala attendit donc qu’elle se ressaisisse, puis souleva les pieds du mort en encourageant les autres à l’accompagner. Le cortège, silencieux, arriva devant le tombeau, une simple grotte naturelle à flanc de colline. On alluma des torches, pour se guider, et on déposa le corps au plus loin qu’autorisaient les lieux, puis, le cortège, après un moment de recueillement, finit par s’éloigner.

Gala et les douze disciples de Yéshoua Ben Yossef qui l’avaient trahi pour Rome campèrent un moment à quelque distance du tombeau, « pour lui rendre hommage par la prière ». Une nuit passa. Puis une journée. Finalement, la nuit tomba à nouveau. Les fidèles se relayaient pendant la journée, mais il n’y en avait pas la nuit. La seconde nuit, Gala s’introduisit dans la grotte, suivi de quelques acolytes, pendant que d’autres faisaient le guet. Ils avaient pris avec eux des sacs de toile. Avec habileté, le chef de la garde romaine découpa le cadavre, et répartit les morceaux putrides dans les différents sacs. Shimon s’était, depuis le début, acquitté de toutes les tâches, avec une efficacité qui avait fait froid dans le dos à ses compagnons, et même à certains soldats romains. Gala lui tendit un sac :

« Voilà la tête. Emporte-la de ton côté, et débarrasse-t’en. Jette-la dans le Jourdain, par exemple.

– Comme tu voudras.

– Ensuite, tu te rendras à la préfecture. Pilate veut te voir.

– T’a-t-il dit à quel sujet ?

– Non, il n’a rien dit. Il ne semblait pas en colère, si c’est ce que tu veux savoir.

– Merci, je m’y présenterai donc. Que vas-tu faire du suaire ?

– Je vais le brûler dans le feu.

– Que dire aux pèlerins qui, demain, découvriront le tombeau vide ?

– Pilate a un plan très spécial, à ce sujet-là. Je crois qu’il veut t’en faire part, si tu veux mon avis.

– D’accord. Au revoir, guerrier. »

Et Shimon s’éloigna dans l’obscurité, avec, à la main, le sac malodorant contenant la tête du supplicié. Encore quelques heures, et un nuage de mouches immondes volerait autour dans un bourdonnement obscène.

Pilate contempla Shimon en éprouvant plein de choses contradictoires. Il ne pouvait qu’avoir du respect pour celui qui, sans trembler, avait pu commettre la trahison, la profanation du corps d’un défunt, tout ça au nom d’une cause supérieure à sa personne. Mais, il ne pouvait, aussi, que mépriser cet homme qui, pour un peu d’or et pour sa tranquillité, avait trahi l’homme qui aurait pu restaurer le royaume ancien des Juifs – et se prétendait, officiellement, leur roi. Il méprisait aussi ce peuple, incapable de discerner les grands chefs, qui préféraient les vouer à la mort, plutôt qu’au pouvoir. Au final, ils méritaient bien ce qui leur arrivait, estimait-il. Pilate se saisit d’une cruche de vin, et la lui tendit. Shimon refusa, l’air grave. Il semblait craindre pour son existence. Le Romain laissa éclater sa joie suffisante.

« Ne fais pas donc cette tête ! Tu es un homme riche et tu as bien servi Rome ! Aujourd’hui, la plus grande menace contre mon autorité en Judée a été écartée, définitivement. Et ce, grâce à ton aide. Sois-en remercié !

– Définitivement ? Et le cadavre ? Demetrius Gala m’a dit que tu avais un plan.

– Il a dit vrai ! Depuis le lever du soleil, deux ou trois de mes hommes parlant hébreu, et déguisés, courent partout dans les rues de Jérusalem pour dire que le Nazaréen n’est plus au tombeau, qu’il est revenu d’entre les morts. Ils racontent qu’il a rejoint son dieu dans le ciel.

– Ton secret est donc bien gardé…

– Et j’espère que mon mensonge sera soigneusement répété. Et, pour l’entretenir, l’officialiser, je dirais, j’aurais besoin de toi.

– Pour quoi faire ?

– Pour reprendre l’enseignement du Nazaréen, le détourner à mon profit, et propager une légende que je forge de toutes pièces autour de lui. Vivant, il était dangereux, car il disait ce qu’il voulait. Mort, il est mon allié, car il dit ce que je veux.

– Je commence à comprendre… Et tu veux que je me fasse complice de cette supercherie ?

– Exactement. Tu as un sens politique, c’est indéniable. Je te protégerai, au nom de Rome. Alors, qu’en dis-tu ? »

Shimon réfléchit en silence, de longues minutes, fixant le bout de ses sandales. Le temps se dilata jusqu’à l’insupportable. Il sentait le regard de Pilate sur lui.

Finalement, il soupira.

Il était d’accord.

Le 11/06/2014 à 16h20

Les limites de la réponse sécuritaire à la menace djihadiste

Le récent retour sur le devant de la scène politique et sociale française du terrorisme bien crade a ravivé passions et tensions, et nombreuses sont les voix qui s’élèvent en faveur d’une réponse sécuritaire à la problématique du terrorisme djihadiste. L’efficacité de la FIPN-GIGN, certes mitigée par le fait qu’ils n’ont pas été maîtres du timing, serait de nature à revaloriser l’option sécuritaire, par la force de l’exemple. La réponse sécuritaire ne saurait pas se résumer au seul renforcement des unités d’intervention des forces de sécurité intérieure. Elle inclut aussi tout un arsenal judiciaire, voire, juridique, une restriction sur un certain nombre de libertés (sur internet, notamment), mais aussi, une politique plus agressive vis-à-vis des extrémistes et des cellules terroristes constituées. Une telle option peut être tentante, et, on l’a vu, offrir de vrais résultats.

Elle a cependant comme principal défaut de ne s’en prendre aux effets, et pas aux causes. C’est un traitement symptomatique et non systémique, car, nulle part ne sont abordées les causes du djihadisme auxquels souscrivent les fous de dieu qui font trembler l’Occident – et, en l’occurrence, la France. Ainsi, l’option sécuritaire seule est vouée à n’être qu’à la traîne du phénomène, sans possibilité de le résorber, ne serait-ce que partiellement. Pire : elle pourrait être de nature à l’amplifier.

Une réponse sécuritaire complète peut s’envisager sur trois axes : judiciaire, politique, et technique. Au niveau judiciaire, l’idée est assez intuitive : durcissement des peines, moins d’indulgence (condamner systématiquement ceux qui, grâce à leurs aveux, auraient facilité l’arrestation d’autres terroristes, par exemple). Le volet politique, lui, passerait surtout par une restriction des liberté à travers l’instauration de nouveaux délits, et l’interdiction de la consultation de certains sites internet, comme des sites djihadistes, mais pas seulement. (Il est à noter que l’option la moins coûteuse, le blocage de ces sites au niveau des serveurs DNS en France, n’en empêcherait pas la consultation en passant par des serveurs étrangers) À l’inverse, l’arsenal législatif s’enrichira d’articles étendant les marges d’action des pouvoirs publics en matière de sécurité : surveillance accrue, extension des délais de gare à vue, pouvoirs d’investigation étendus pour la police et la gendarmerie, contrôles accrus aux frontières, voire, fermetures de celles-ci, ou encore, restauration de la peine de mort. Enfin, techniquement, la chose consisterait en un accroissement des efforts policiers vers le repérage et la neutralisation des terroristes avant la commission d’attentats, ce qui implique un noyautage méthodique et systématique des « populations à risque », la filature des personnes identifiées, des descentes de police régulières et aléatoires, afin d’éviter que ne se mettent en place des sanctuaires, bref, pour reprendre une formule connue, « terroriser les terroristes ».

La faiblesse de cette approche réside essentiellement dans le fait que, le terrorisme djihadiste s’inscrivant dans un contexte international, elle ne peut prétendre lutter que contre la totalité du phénomène, ou des dispositifs en place : l’entraînement des candidats au djihad se faisant à l’étranger (Syrie, Irak, Sahara…), le « savoir faire » nécessaire aura toujours un moyen d’être acquis aux plus déterminés. L’idéal serait de les empêcher de revenir sur le territoire, ce qui supposerait de trouver un moyen légal pour cela – sans modification du corpus législatif, c’est aujourd’hui chose impossible : la loi ne permet pas de reprocher à qui que ce soit une intention que rien ne peut prouver. Par ailleurs, en admettant qu’un tel dispositif législatif soit en place, aucune frontière n’étant totalement imperméable, des entrées clandestines seraient envisageables, via des réseaux qui ne manqueraient pas de se développer à cette occasion. Même remarque concernant la radicalisation, préalable au départ en formation : les sites djihadistes, les revues d’origine étrangère peuvent toujours être atteints. Même un blocage desdits sites ne représentera qu’une perte de temps pour l’utilisateur qui veut vraiment les visualiser (serveurs DNS ou proxy étrangers, par exemple). Si un entraînement martial ne peut être acquis à l’étranger, des connaissances de base peuvent être toujours acquises en matière d’explosifs, via le Dark Web, ou par le bouche-à-oreille. Par ailleurs, le sentiment que pourront éprouver les populations concernées d’être stigmatisées (à raison, si les dispositifs policiers s’accompagnent de vexations et d’une suspicion permanente) pourra renforcer leur rejet des institutions, et les précipiter, sinon dans le djihadisme, en tout cas dans le soutien à cette cause, favorisant le développement de réseaux de soutien, d’infiltration et d’exfiltration de candidats au djihad. Par ailleurs, la sympathie des populations étrangères pour les populations françaises candidates au djihad (qu’elles soient arabes, africaines ou autres) pourra aussi aboutir à la mise en place de réseaux destinés à faciliter la circulation des apprentis-terroristes dans les zones où ils recevront la formation. Synthétiquement, la réaction des structures terroristes se mettra en place pour esquiver les difficultés posées par les pouvoirs publics, dont les ajustements se feront, au mieux, avec un temps de retard. À ce égard, on peut imaginer aussi que la restauration de la peine de mort, loin d’être dissuasive, sera de nature à encourager les extrémismes, si ces morts sont présentés comme autant de martyrs pour la cause.

Par ailleurs, on est en droit de se demander ce qui peut amener une personne, née en France, ayant suivi une scolarité française en France, peut se trouver séduite par le djihadisme, une vision de l’Islam (ou n’importe quoi d’autre, au final) rigoriste, au point d’envisager sérieusement d’accepter de mourir pour. Et, là, la question est à poser en prenant en compte les spécificités des populations concernées : absence d’avenir social, non-reconnaissance de leurs particularismes culturels, stigmatisation, voire persécution… Une situation peu enviable, sans avenir radieux, peut créer un ressentiment profond, chez un individu, vis-à-vis de ce qu’il perçoit comme son oppresseur, mais, aussi, l’amener à repenser son rapport à la mort. En effet, en l’absence de perspectives (sociales, économiques, sanitaires), en quoi est-elle pire que la misère qui s’annonce pour les années à venir, surtout si elle est auréolée d’une certaine gloire ? C’est à mon sens un ensemble de causes qui se croisent, et se rencontrent jusqu’à créer une « masse critique ». Dans les banlieues françaises, où le taux de chômage est élevé, et où se développent divers trafics et réseaux, il est facile de se désillusionner : ne pas avoir de travail parce qu’on habite dans telle ville, avoir un nom qui sonne de telle façon… « À quoi bon ? », est une question qui peut se poser facilement. C’est ce doute, j’oserais dire ce désespoir, qui laisse une porte à qui peut promettre une ailleurs ou un avenir meilleur : le paradis, la gloire, et même – qui sait ? – des avantages, des soutiens à la famille, aux amis, en échange de son martyre. C’est là qu’un prédicateur extrémiste, local ou étranger – par l’entremise du web – peut insinuer dans un tel esprit l’idée même de se sacrifier – et, éventuellement, de commettre des horreurs contre ceux qui sont pointés du doigts comme responsables de cet état de fait.

Voilà pourquoi je pense que, si la réponse sécuritaire est une option qui n’est pas à rejeter d’emblée, elle est loin d’être suffisante. En effet, en se contenant d’une posture purement répressive, les pouvoirs publics se poseront en ennemis, dans une logique (et une rhétorique, comme on commence à le voir dans la presse) de guerre. C’est oublier qu’avant de devenir un terroriste, cette personne est un citoyen lambda : on ne naît pas terroriste ! L’environnement joue, à mon sens, un rôle majeur dans la perméabilité d’un individu aux lectures extrêmes, surtout si elles sont vendues avec une rhétorique de haine comme un moyen d’améliorer son destin. La lutte contre le chômage, la déconcentration des populations dans les rangs desquelles le chômage fait rage, lutter contre les réseaux de trafic de drogue (qui peuvent financer et se superposer aux réseaux terroristes, au moins en partie) permettraient aux populations traditionnellement musulmanes (et donc, les plus vulnérables, a priori) de se soustraire à la tentation de la radicalisation islamique. Ce qui, en creux, ne dispense pas de lutter activement contre les réseaux déjà constitués, ainsi que contre les terroristes déjà déterminés à semer la mort dans l’Hexagone.